Le Comte de Monte-Cristo, comparatif entre le livre et le film

Après avoir vu le film que j'ai adoré, j'avais pour projet cet été de lire le roman, gros chantier vu qu'il faisait 1400 pages dans son édition de poche.

Je vais procéder différemment des autres analyses que j'ai écrites pour d'autres romans. Je vais parler des différences entre le livre et le film. Elles sont nombreuses, le livre étant très long et dense, il a fallu l'adapter pour rentrer dans un film de 3h. Étant donc nombreuses, je ne parlerai que des différences que je trouve pertinentes.

L'honneur et les vertus

C'est toujours frappant de lire un ancien roman. L'éthique était bien plus poussée qu'aujourd'hui — aujourd'hui c'est inexistant. L'honneur, le courage, le respect, ce sont des valeurs disparues. Le "ah gros, tu connais", ça n'existait pas au XIXe siècle. La parole avait de la valeur, c'était un engagement.

Je trouve toujours admirable, quand je lis des anciens textes, de redécouvrir cette notion d'honneur et de dignité.

Avant internet, les signatures électroniques, les messageries instantanées sécurisées, les caméras de surveillance, il n'y avait aucun moyen d'assurer la stabilité du monde. Il fallait faire preuve d'honnêteté.

Si les personnes se mettaient à dire "oui mais ce n'était pas moi, je n'ai pas vraiment dit ça, je n'ai pas signé ou j'ai changé de nom", il fallait être prêt à payer le prix de la fausse déclaration. Eux étaient intransigeants sur ces valeurs. Sans elles, rien ne pouvait fonctionner.

Albert de Morcerf

L'exemple le plus frappant est le duel entre Albert et le Comte de Monte-Cristo dans le roman qui est totalement différent de celui du film. Albert défie le Comte pour honorer son père — on ne pouvait pas salir l'image d'un proche sans en subir les conséquences. Dans l'œuvre originale, le duel n'a pas lieu car Mercedes explique à son fils qui est réellement le Comte et qui est réellement son père. Albert comprend la douleur et l'injustice subies par Edmond Dantès et se rend compte que son père est un escroc. Il s'excuse auprès du Comte qui les accepte — Dantès est impressionné par la bravoure du jeune homme. Albert rejette alors son père et refuse sa fortune. Il part avec sa mère Mercedes sans rien, souhaite ne plus être associé à son père et désire se construire lui-même en partant de zéro — quel courage ! C'est un changement drastique dans la psychologie du Comte de Monte-Cristo. Il est très touché par la bravoure du jeune Albert qui n'a rien mérité de tous les malheurs qui lui arrivent. C'est un de mes moments favoris du roman, tous deux reconnaissent la qualité de l'autre et leur grandeur d'âme.

Ce moment a été totalement changé dans le film. Notre conception actuelle du monde ne permet pas de comprendre ces valeurs. Il est remplacé par une histoire d'amour bidon entre Albert et Haydée.

Morrel

Dans le roman, l'armateur Morrel fait tout son possible pour sauver Dantès lorsqu'il est emprisonné — c'est d'ailleurs le seul à le faire. Pour ces faits, Dantès lui reste éternellement fidèle ainsi qu'à son fils Maximilien jusqu'à la fin du roman. Maximilien est le seul personnage à s'en sortir "vainqueur" de toutes ces péripéties.

Dantès sauve le père Morrel de la faillite et annule sa vengeance sur Villefort pour sauver l'amour du fils Maximilien envers Valentine. Maximilien n'est pas présent dans le film alors qu'il est l'un des personnages les plus importants. C'est dommage.

Cette notion d'honneur, de dignité n'a pas été du tout retranscrite dans le film. C'est quelque chose qu'il est impossible de comprendre pour le spectateur de nos jours. C'est intéressant de noter cette différence cruciale. C'est quelque chose qui nous manque profondément. Les derniers films où l'honneur, la dignité et la bravoure étaient mis en avant comme Gladiator ou le Seigneur des anneaux datent déjà de plus de 20 ans. Depuis, il n'y a plus rien.

L'aristocratie

Un bon tiers du roman est consacré à la vie des aristocrates parisiens — c'est d'ailleurs assez ennuyeux. Ce sont des gens riches qui ne travaillent pas, alternant la vie entre des dîners, des sorties à l'opéra, des soirées mondaines et des négociations entre grandes familles pour arranger des mariages. Les personnages ont pourtant des métiers (banquiers, procureurs, journaliste) mais ils ne bossent pas — ils sont toujours chez eux. Je pense que c'est typique de la haute société parisienne de l'époque (et encore de nos jours) — des riches qui ne font rien.

C'est un grand contraste avec la littérature britannique de l'époque comme Dickens. Dans ses œuvres, les riches (banquiers, avocats, hommes d'affaires) bossaient réellement — et même beaucoup — ils étaient dans leur bureau toute la journée et non dans des dîners mondains à arranger des mariages.

Le journaliste

Petite anecdote que je trouve pertinente à discuter rapidement. Dans le roman, un des personnages est journaliste et, comme de nos jours, c'est un demi-dieu. Le journaliste connaît toutes les grandes personnalités parisiennes, est invité à l'Opéra dans la meilleure loge — il a tous les pouvoirs. Comme aujourd'hui, le journaliste est considéré comme une élite — typiquement français.

Les taux d'intérêt

C'est un petit détail mais j'ai trouvé cela amusant. Dans le roman, les taux d'intérêt sont élevés : minimum 5% et souvent plus de 10%. J'ai trouvé cela intriguant car c'est un monde d'avant nos taux fictifs de 2%. Prêter à 2% n'a aucun sens, le risque est bien trop élevé pour le prêteur, la marge est trop faible pour compenser le risque de ceux qui ne pourront pas rembourser. C'était un monde encore basé sur l'or, précédant nos inflations modernes.

D'ailleurs, autre différence dans le film, les sommes sont bien plus grandes, il est mentionné de la part de Danglars la somme de 500 millions et son patrimoine est estimé à 200 millions. C'est une adaptation nécessaire au monde moderne pour rendre les sommes cohérentes aux yeux du spectateur. Dans le roman, la fortune de Danglars est estimée à 20 millions et les sommes discutées tournent autour du million — ces sommes auraient paru risibles aujourd'hui.

Les adaptations wokes

La relation avec Haydée

Dans le roman, Haydée est amoureuse du Comte de Monte-Cristo. Elle le respecte contrairement à l'adaptation du film. Dans le roman, le Comte finit heureux avec Haydée, il a enfin trouvé l'amour. Dans le film il finit seul et triste et Haydée le quitte pour Albert.

C'est un changement volontaire, une différence d'âge comme celle-ci serait mal vue aujourd'hui. Elle aurait pu cependant être atténuée en mettant une Haydée un peu plus âgée et le Comte un peu plus jeune. C'est aussi une jalousie moderne du courant woke. Le Comte représente un homme abattu qui s'est relevé. C'est un homme intelligent, rusé et qui arrive toujours à ses fins. Ils ont consciemment altéré ce fait en le rendant seul à la fin du film. J'aurais aimé découvrir le Comte heureux à la fin du film, partant avec Haydée.

Le conflit Monarchie-Napoléon

Le roman se déroule après la destitution de Napoléon. C'est un conflit entre les partisans de la monarchie et les partisans de l'Empereur. L'œuvre prend davantage le parti de Napoléon que celui des aristocrates corrompus de la monarchie, qui rappellent nos élites modernes, si bien que le conflit est presque absent du film. Nos élites aiment l'œuvre de Dumas, mais seulement certains aspects — elles n'aiment pas trop être associées aux méchants.

Dans le film, c'est la sœur de Villefort sauvée de la noyade par Dantès qui transmet un message de l'Empereur. Elle n'existe pas dans le roman, c'est le capitaine du navire qui transmet cette lettre (le capitaine dans le livre est un autre personnage inexistant du film — ce n'est pas Danglars).

Quand il faut supprimer un personnage noble et vertueux comme Maximilien Morrel, c'est normal — c'est une adaptation.

Quand il faut créer un personnage rebelle de la résistance badass, là ils ont mis une femme.

Dans le roman cette lettre est destinée à un agent napoléonien nommé Noirtier, c'est le père du procureur Villefort — il n'existe pas dans le film.

Dans l'œuvre, Noirtier représente le grand-père giga solide à l'ancienne — le pilier infaillible de la famille qui s'occupe de sa petite-fille Valentine (personnage vertueux aussi absent du film — ils ont supprimé tous les personnages honorables).

Noirtier c'est l'homme intelligent qui découvre dans la famille qui empoisonne. C'est un homme brillant qui malgré son âge et son handicap se bat contre les injustices.

La bravoure, l'honneur, la justice ce sont des valeurs qui ne plaisent pas trop aux wokes. Je pense que c'est volontaire d'avoir supprimé Noirtier pour le remplacer par une femme badass mais inutile.

L'esclavagisme

Excepté Haydée qui a été vendue comme esclave, il n'est jamais fait mention dans l'œuvre d'esclavagisme. Les armateurs font du commerce avec le Proche-Orient et l'Inde.

Dans le film, pour se sentir supérieurs aux personnages, ils se sont sentis obligés d'ajouter que le commerce était du commerce transatlantique d'esclaves alors que c'était du commerce d'épices avec l'Inde. Une pure invention sans intérêt.

En plus, ce n'est même pas la même période, l'histoire se déroule dans les années 1830. L'Angleterre avait interdit le commerce d'esclaves en 1832 et faisait campagne dans l'Atlantique contre les navires négriers.

Albert le bobo parisien

Dans le roman, Albert est le jeune vicomte solide qui a eu la malchance d'être le fils d'un lâche. Dans le film, il a été remplacé par un petit bobo fragile parisien mal coiffé. C'est dommage d'avoir sali l'image d'un des plus nobles personnages du roman.

L'absence de religion

L'histoire du Comte de Monte-Cristo est l'histoire d'un homme qui se substitue à Dieu pour récompenser les méritants et punir les méchants. Il se décrit lui-même comme la main invisible de Dieu. Dans le roman, il a vraiment un côté mystique irréel. C'est un homme ressuscité pour accomplir la justice du Tout-Puissant.

Dites à l'ange qui va veiller sur votre vie, Morrel, de prier quelquefois pour un homme qui, pareil à Satan, s'est cru un instant l'égal de Dieu, et qui a reconnu, avec toute l'humilité d'un chrétien, qu'aux mains de Dieu seul sont la suprême puissance et la sagesse infinie. Ces prières adouciront peut-être le remords qu'il emporte au fond de son cœur.

C'est totalement passé à l'oubli dans le film. C'est la morale de l'œuvre, on ne peut se substituer à Dieu — que du malheur en adviendra. Il faut laisser faire la providence.

J'ai été déçu que par idéologie ils aient omis de montrer cet aspect de l'œuvre.

Le combat de merde

À la fin du film, ils ont ajouté un combat à l'épée entre Fernand et le Comte de Monte-Cristo. Non seulement ce combat n'existait pas dans le roman puisque Fernand se suicidait par honte suite à la découverte de ses crimes mais en plus le combat est nul. Le Comte est un demi-dieu, c'est sa main invisible — un génie qui connaît tout, a tout prévu et maîtrise tous les arts — littéralement un super-héros.

Là dans le film, il se fait défoncer par Fernand et évite la mort de peu en le battant à la dernière seconde. C'est dommage d'avoir sali l'image du personnage comme cela.

L'absence de malheur chez Mercedes

Dans le roman, Mercedes subit pleinement les conséquences de la vengeance de Dantès. Elle perd tout et se retrouve seule et sans ressources, même son fils finit par partir. C'est une des leçons du roman : les victimes collatérales de la vengeance. Ils ont fortement atténué ces faits dans le film, réduisant ainsi les leçons que l'on peut tirer de l'œuvre.

Pas de fin heureuse

Les wokes n'aiment pas les conséquences de leurs actes et que les autres soient heureux. Dans le roman, Dantès part heureux avec Haydée, connaissant enfin l'amour et laissant sa fortune à Maximilien et Valentine. Dans le film, il part seul sur son bateau sans plus personne. Haydée l'ayant abandonné pour partir avec Albert.

Je trouve ça dommage d'avoir changé le scénario. La morale finale étant "Attendre et espérer", le Comte avait enfin retrouvé l'espoir. Dans le film il l'a perdu...

Conclusion

J'ai d'abord vu le film puis lu le roman. J'ai apprécié grandement les deux, y compris le film, ça fait du bien d'avoir enfin un bon film français. Je comprends parfaitement d'avoir adapté l'histoire pour qu'elle rentre dans un film de 3 heures mais je trouve ça dommage que par idéologie ils aient changé certains aspects primordiaux de l'œuvre.